Mai

Mardi 8 mai, 0h30
Après une conversation avec Heïm la semaine dernière, et un e-mail m’exposant les diverses positions, confirmation que le Gâchis ne sera pas publié par les gens du Nord. Avec toute la diplomatie affective qui convient, Heïm m’a bien fait passer le message. L’intérêt stratégique personnel n’existe plus suite à un abandon de toute carrière universitaire ; en fait, et c’est bien normal, je ne suis plus une priorité. Le rapport reste tendre, mais la distance est indéniable. A moi de trouver une autre voie éditoriale pour exister.
Doux moment avec Ettéragram à Rive de Giers, une ancienne ville minière aux grisailles tristounettes. Je dois l’accompagner le 9 juin à un mariage. Là encore, je ne ressens pas plus qu’un attachement affectivo-sexuel. Terrible tournure de mon caractère. Entre idéalisation sclérosée et goût de la séduction, je ne me prépare pas de stabilisation sentimentale.
Elo, chez qui je déjeune ce jour, s’inquiétait de mon actualité de cœur, elle-même ayant trouvé l’âme sœur... parisienne chez un journaliste-présentateur sur LCI. Que le bonheur soit avec elle...
La fosse scorie sur M6, que je fuis comme une purulence malodorante, déchaîne les médias et galvanise les téléspectateurs. Nouvelle illustration de la profonde connerie humaine.

Jeudi 10 mai, 23h

Unis par l'intelligence
Pour les vingt ans de l’accession au pouvoir de feu Mitterrand, j’ai suivi avec délectation les deux derniers numéros de Conversations avec un Président réalisés par Elkabbach. Quels que soient les dé­saccords idéologiques ressentis, on ne peut qu’être séduit par la finesse intellectuelle de l’homme et du chef d’Etat en pleine possession de sa fonction. Une telle dextérité, alors que la maladie le tenaillait, force le respect.
Autre grand plaisir pour l’esprit, La Grande Parade de Jean-François Revel. Capacité implacable et brillante à démontrer et démonter la tentative insidieuse de réhabilitation de « l’utopie socialiste », après sa condamnation sans appel par les faits du communisme, par le lynchage du libéralisme.

Deux personnages que tout oppose, mais dont l’intelligence respective réconcilie dans la jubilation procurée.
Plus factuel, mais non moins agréable, j’ai déjeuné ce jour avec Elo. Elle semble bien accroc à ce Jean-Maurice P. de LCI, et je ne peux que lui souhaiter le plus enivrant des bonheurs. Au cours de nos échanges, elle évoque notre première rencontre dans le bus nous menant à Saint-Cyr : elle fut assez rapidement persuadée que j’étais le « jeune » professeur venant l’éclairer en français. Pour ma part, je n’osais croire que cette magnifique jeune femme m’était pédagogiquement destinée. Il faudra le terminus pour que l’on échange nos identités. Très édifiant témoignage d’Elo qui me restitue ses pensées et attitudes d’alors, un cinéma (comme dirait Bedos) au moins aussi conséquent que celui que je m’étais échafaudé. Bien agréable moment évocatoire partagé. J’espère suivre cette jeune femme encore longtemps, même si ce n’est que cordialement.
Au hasard d’un passage à la gare de La Part-Dieu, je croise Valérie, amour éphémère déçu. Quelques mots échangés, tout en banalités. J’aurais peut-être mieux fait de jouer l’indifférent plutôt que d’exciter une déception encore fraîche.
Je reçois Ettéragram demain soir pour, sans doute, de très doux moments avant de filer, le samedi matin, en vue des retrouvailles avec mon père.
Avant les songes, retour à Revel et à son nourrissant essai.

Dimanche 13 mai
De retour de Paris. La réconciliation avec mon père a eu lieu. Voyage à Tours via le château du Plessis à Limeray, où je suis né. De fortes émotions sont revenues en lui, retrouvant là et à Tours les années de son adolescence et de ses engagements auprès de Heïm. Le dialogue, notamment place Plumereau, a complété l’affaire du Gâchis et de sa non publication par les gens du Nord.
Heïm l’a appelé spécifiquement, il y a quelques semaines, pour lui annoncer qu’il ne publierait « jamais » mon Journal, car « je n’avais rien compris ». Voilà un virement de position réalisé dans mon dos, et avec une justification pour le moins elliptique. Qu’y avait-il donc à comprendre de plus que ce témoignage dans le vif d’un engagement ? Cette volte-face, en contradiction avec le discours qu’il m’a tenu affectivement, me révélerait-elle une manipulation de bout en bout ? Je me suis engagé de tout mon cœur, et avec loyauté, et c’est moi qui n’aurait rien compris ? Ce Journal s’achèvera avec ma mort, qu’il soit ou non publié, et c’est sa perspective globale qui vaudra sur les gens croisés avec plus ou moins d’application.
Ainsi, toujours d’après les termes rapportés par mon père, Heïm estime que les quelques critiques émises sur mon père relèvent à nouveau d’une crétinisation (le mot est de mon choix) inconsciente de ma part. Je n’oublie pourtant pas les centaines, voire milliers d’heures, depuis quinze ans, où Heïm a piétiné allègrement l’image de mes parents. Là encore, ne fallait-il y voir que du conditionnement stratégique ? Ce sacro-saint intérêt de la famille, on voit ce qu’il en reste aujourd’hui, vaut-il ces sacrifices ? Le Sacrifice exemplaire aurait-il été un meilleur titre pour mon premier tome ? !
Je tiens à réaffirmer ma capacité à faire des choix : cet exil lyonnais en est un tout autant que le fut ma prise de gérance. Je n’ai donc pas à minorer ma responsabilité, à la différence essentielle que d’autres se sont carapatés comme des lachtouilles inconséquentes. Moi je me suis battu et, finalement, j’ai évité le pire à la mesnie moribonde.

Infiniment plus dérisoire, mon père m’apprend aussi qu’au cours d’un entretien envenimé avec Bruce, celui-ci lui a déclaré que mon Journal « c’est de la merde ! », mais que lui, parangon de l’opportunisme inefficace et de l’inanité existentielle, lui, l’analphabète, prépare... son autobiographie qui, elle, marquera l’histoire littéraire et le monde de la pensée ! A hurler de rire avant de laisser ce triste dérangé. Je croyais que son côtoiement de la religion lui aurait apporté le sens de la loyauté et de la mesure... foutaise encore une fois. Moi, je n’oublie pas son acte de vandalisme contre ma première tentative de tenir un journal : pages déchirées et détruites par le gonflé du citron qui va nous pondre des merveilles... J’arrête là mon cynisme, car le visé n’en vaut pas la peine.

Acquisition d’un remarquable ouvrage sur Dalí, rassemblant toutes ses oeuvres. Un talent génial dont les titres de toile me font parfois penser à ceux, loufoques, de Satie...

mardi 15 mai, 1h15

Tranchons, tranchons...
L’Académie française n’accueille pas que des pontes littéraires ankylosés, ou tout du moins rétifs à l’anticonformisme. La verdeur démonstrative de Revel en témoigne. La Grande Parade, que je déguste dans les transports, fouille le sujet sensible de l’horreur communiste (pour paraphraser Forrester) avec une efficacité argumentative de très grand talent. Revel va jusqu'à démontrer, textes à l’appui, les intentions de génocide inscrites dans les textes fondateurs du socialisme via Engels, Marx, Lénine, etc. Je ressors conforté dans une position maintes fois défendue, mais sans tout cet arsenal référentiel qui prouve sans conteste que communisme et nazisme sont tout autant responsables de crime contre l’humanité.
23h30. Alors que d’aucuns s’avachissent devant l’inanité récurrente du Loft, sorte de régression crétino-banale de la téléchions, j’entame dans quelques lignes la dernière page du Manus IX en inspirantes compagnies : entre Revel et Dalí, le cortex jubile.
J’évoquais les titres déjantés du peintre. Ainsi une toile de 1932 force le respect de l’allumé talentueux : « Pain français moyen avec deux œufs sur le plat sans le plat, à cheval, essayant de sodomiser une mie de pain portugais ».
Oublié de noter mon entrevue à Paris avec Aurore, toujours amoureuse de son grec, une aura persistante, mais un visage lourd d’une dépression encore fraîche. Elle tente la (pseudo) thérapie du magnétisme. A trois cent trente francs la séance, non remboursés bien sûr, elle semble persuadée de l’effet bénéfique, mais malheureusement à durée très limitée (deux-trois jours tout au plus) de ces entrevues manipulatrices. Le ponte magnétique lui a précisé que le traitement serait probablement long... L’inspiration knockienne de la déclaration ne fait aucun doute et présuppose, sans doute, le triomphe de l’escroquerie parallèle.
Engels préconise, en 1849, l’élimination des Hongrois en combat contre l’Autriche, et Marx, dans Sur la question juive, estime l’idéologie communiste capable d’instaurer « l’organisation de la société qui ferait disparaître les conditions du trafic et aurait rendu le Juif impossible ». N’est-ce pas le programme réalisé imparfaitement par Hitler ? La puissance de l’essai de Revel tient à ces multiples références, sans énervement littéraire, qui stigmatisent de façon définitive l’ignominie idéologique du communisme et de son cousin par alliance et affinité, le socialisme.

Vendredi 18 mai
Hermione fait son chemin. Sculpteur de grand talent, ses oeuvres sont présentées du 3 mai au 30 juin à la galerie Antiquaire Drouot, « à proximité de la plus prestigieuse salle des ventes de France » comme le souligne le carton reçu hier. Voilà un parcours artistique assez récent qui prend bonne tournure et j’en suis ravi pour elle.
De mon côté, le décollage se fait attendre. J’envoie la semaine prochaine quelques extraits de mon Gâchis aux plus grands éditeurs... pour voir.
Elo enivre toujours autant par sa pétillance. Après la mise au point, à deux mains, du plan détaillé d’un sujet de philosophie (« Pourquoi cherche-t-on à comprendre notre passé ?), elle me montre l’enregistrement sur LCI du charmant jeune homme rencontré.
Le tous-pourris est-il si abusif lorsqu’on veut dépeindre les moeurs économico-sociaux en politique ? Le Flock Prigent, ancien PDG d’Elf, facilite la simplification : les commissions occultes et les emplois fictifs ont été en usage sous tous les présidents de la Ve qui avaient annuellement connaissance de la liste des favorisés, de cette nomenklatura illégale. Les pratiques touchaient toutes les entreprises publiques qu’il a dirigées (la SNCF, par exemple) et tout le personnel politique en a profité plus ou moins directement, ou tout au moins en avait connaissance... Quel panorama !

Dimanche 20 mai, 23h50
Ettéragram m’a rendu visite samedi soir et la complicité s’est renouvelée. Passage éclair au 42, bar, quai de Saône, découvert en 99 avec JP, le naze royal. Rien de bien transcendant, mais douceurs et coquineries partagées. L’essentiel d’une bonne entente ne faiblit pas et les qualités de la demoiselle se confirment.
Un dimanche physique chez les F., avec une Elo encore plus attachante qu’à l’accoutumée, probable conséquence de la mauvaise tournure que prend son amorce d’histoire avec le journaliste de LCI.

Mardi 22 mai, 23h50
Lors de mon intervention de ce matin auprès d’auditeurs (selon le jargon requis) en bac pro, lecture de quelques passages tonitruants du Voyage au bout de la nuit (dont le manuscrit vient d’être acheté douze millions de francs !). Quel flot véhément pour rendre compte des conditions innommables de détention dans les camps de prisonniers durant la guerre (scène du « communisme dans le caca ») ou de la manipulation du peuple par les dirigeants post révolutionnaires. Ma voix, dans la fureur passionnée du ton adopté, semblait épouser sans effort les exclamations et interpellations céliniennes.

L’affaire Elo-JMP ne s’arrange pas. Le journaliste semble hostile à toute conversation de fond et ne tient pas ses engagements de rappeler. Une muflerie à doses homéopathiques certes, mais qui laisse Elodie avec le sentiment d’avoir été bernée. Elle devait insister pour une catharsis téléphonique ce jour. Comment peut-on se montrer d’une telle inconséquence avec Elo ? Mon parti-pris n’arrange pas l’analyse, mais je ne supporte pas qu’elle soit malheureuse. Comme un instinct de protection.
J’ai confié l’affaire à Ettéragram qui suspecte JMP de vouloir laisser pourrir la situation par le silence. Un manque de courage allié à une conception infantile des rapports humains.

Jeudi 24 mai, 22h30
Depuis Fontès. L’inspiration a eu plus de consistance en ce lieu. Me voilà à chercher phrases et idées dans une déambulation intellectuelle sans accroche.
La normalisation, voire le redécollage des relations Elo-JMP m’ont été annoncés par un message sms via mon portable par la demoiselle. Un emballement, de ma part, sans doute disproportionné. Voilà une saine remise dans l’ordre des choses.
Bonne première journée, avec ma mère et Jean, dédiée à l’activité physique : tennis sur court et faux dans le jardin. De très judicieux conseils de maman pour ma lettre aux éditeurs parisiens. Lors d’un échange avec Jean sur la première page de l’extrait sélectionné, et notamment celui tournant en dérision les pseudo-interrogations métaphysiques (« où cours-je et dans quelle étagère ? »), trouvaille d’un sous-titre déjanté pour le Gâchis : La courge dans l’étagère...
Ma grand-mère, qui aura 89 ans en septembre, semble aller plutôt bien, se permettant même de grimper jusqu’au premier étage de la maison. L’entraînement obligatoire contribue peut-être à ce dérouillage : l’ascenseur de la maison de retraite ne répond plus depuis plusieurs jours.

Vendredi 25 mai
Salve de critiques sur l’intérêt qu’un tel Journal (le Gâchis) puisse être publié, alors que mon anonymat m’enterre préalablement, sur le manque de consistance des personnages qui le peuplent (une focalisation interne à l'extrême), une correspondance lassante... J’ai suffisamment pratiqué l’autocritique dans ces pages pour que plus rien ne puisse m’affecter. Je ne changerai pas d’un iota ma première tentative de contact auprès des grands éditeurs. Un pour cent de chance qu’une réaction positive en émane, mais la démarche aura existé. De là, j’en viendrais peut-être à tout modifier, et à faire un roman-journal... Je persisterai, quoi qu’il arrive, à m’adonner à cet instantané littéraire, comble de l’égocentrisme misérabiliste. Les fresques m’indiffèrent...
Toujours un moment émouvant de raccompagner grand-mère dans la demeure des retraités. On la sent au bord des larmes à chaque fois. La pensée de la dernière entrevue plane logiquement.
Après quelques instants de réflexion : reprendre toute cette matière brute, distinguer ce qui pourrait relever de la narration de ce qui appartient en propre à des réflexions. De là, lier les éléments de la narration pour leur insuffler une cohérence et une accessibilité, en ajoutant les analyses nécessaires pour que les personnages trouvent leur épaisseur physico-psychique, et réintégrer à la trame narrative le Journal ou la correspondance du personnage principal (moi, en l’occurrence) composé des passages les plus significatifs. Plus du fignolage littéraire dans ce cas, mais du gros œuvre...

Jeudi 31 mai, 0h40
Les grosses chaleurs pourraient justifier mon peu d’entrain, mais j’y décèle une plus profonde cause. Ce choix d’un exil sans construction dans cet ailleurs, et ce tant que la promise incertaine ne se révélera pas à moi, favorise la nécrose existentielle sans quête d’une plus enthousiasmante perspective.
Finalement, revenu à mon isolement premier avec, en prime, une carence en idéal.

Aucun commentaire: