Mars

Vendredi 2 mars, 0h15
Touchante journée de jeudi avec l’enterrement du grand papa de Sandre, Jean R. (1921-2001) ; une première, pour moi d’assister à ce genre de cérémonie. Au funérarium, d’abord, pour se recueillir devant le corps (son visage semblait apaisé, rajeuni) ; à l’église, ensuite, avec les hommages divers ; au crématorium, enfin, où l’émotion de sa veuve (cinquante-six ans de mariage, je crois) atteignit son comble. Présence du géniteur de Sandre, qu’elle n’avait pas revu depuis vingt-deux ans : un frêle personnage bien effacé et sans grand intérêt au premier abord.
Entendu ce soir à l’auditorium, avec Emmanuelle (collègue de Forpro) que j’avais invitée, du jazz symphonique, deux pianos à quatre puis huit mains. Trois heures de talents concentrés.
A noter ma très agréable soirée de mardi avec Valérie, et la confirmation de mon goût (charnel) pour elle. Je suis invité pour son anniversaire ce samedi (elle fête ses trente ans).

Mardi 6 mars
Multiplication du relationnel revigorant ces dernières semaines. Après les quelques moments passés avec Valérie (anniversaire, cinéma, conversations), le passage à l’auditorium en compagnie d’Emmanuelle (qui m’invite à manger chez elle demain soir), c’est mon étudiante préférée, Elo, qui m’appelle une heure, hier soir tard, pour discuter à bâtons rompus : de ses amours déçus à l’angoisse de la mort, en passant par ses projets universitaires pour l’année scolaire prochaine. Le 27 mars prochain, je l’accompagne au concert du bon Bruel. Pédagogue et confident à interventions périodiques : voilà un rôle que j’apprécie.
L’hystérique application du déifié principe de précaution a trouvé une nouvelle justification : la fièvre aphteuse. La tonalité de certains journaux commence à changer : après l’approbation sans retenue d’une sécurité maximale imposée, ils soulignent aujourd’hui le décalage existant entre l’armada de moyens déployés en France (alors qu’en Angleterre la fièvre s’est effectivement répandue) et l’absence confirmée de cas sur notre sol. Tuer des petits éleveurs par anticipation, que l’on pourrait assimiler à du fantasme de sécurisation obsessionnelle, m’apparaît comme une dérive dans l’application d’un principe pourtant légitime.

Jeudi 8 mars
Je ne m’attache pas au hasard : Elo s’est confirmée aujourd’hui, par l’écrit, comme un être de qualité. A 19 ans, elle tient un journal d’humeurs et de faits, et m’a accordé la découverte de quelques passages, dont un portrait psychologique de moi. Impressionnante justesse de l’analyse (je suis comparé à du cristal).

Vendredi 9 mars, 23h50
Pour achever mes notations abrégées hier par une fatigue envahissante : je trouve très touchant qu’une pétillante Elo de 19 ans consacre quelques pages de son cahier d’humeurs à un ours décalé comme moi. J’apparais comme son professeur attitré, « et surtout » son « ami ». Cela réconforte un chouia et rassure sur ma valeur humaine. Une personnalité à double tranchant chez Elodie : des gamineries les plus outrancières aux élans approfondis, tout en sagesse expérimentée.
Ce week-end s’annonce érémitique pour moi. De multiples travaux et copies à corriger : campagnes publicitaires des IUT-GACO ; QROC et dissertations des médecines de Grange Blanche ; synthèses de documents, résumés, questions de compréhension et développements composés des BTS, notamment.
Si j’avais possédé ma carte d’électeur, j’aurais apporté ma voix à Charles Millon. Personnalité attachante et d’un niveau bien supérieur aux Collomb et Mercier. Le vieux Barre ira prendre une retraite bien méritée.

Dimanche 11 mars
Que cette journée soit un grand accomplissement des besognes.
Décision de ne plus rappeler Valou (Valérie). Elle se manifestera à moi si elle en éprouve l’envie. La loupiote danger de l’attachement inutile, voire déstructurant, me fait reprendre raison. Elle appartient trop, lorsqu’elle n’aime pas vraiment, à la catégorie des prédatrices.
En revanche, je vois Manon (Emmanuelle) lundi soir. Une sensibilité qui semble bien m’apprécier. Cela ira-t-il jusqu'à faire cesser le tournis des très éphémères illusions sentimentales dont je deviens un spécialiste effréné ? S’il n’en reste qu’une, il me restera mon amie (amitié) Elo...
Tous aux urnes sauf moi (et moi, et moi, et moi...) aujourd’hui. Je fais pourtant le voeu que Millon et Tibéri engrangent le maximum de voix : les deux seules personnalités de ces municipales à m’avoir accroché... pas au point de m’inscrire sur les listes, toutefois.
Fin de la récréation rédactionnelle, et place aux corrections tous azimuts.

Mardi 13 mars, 0h53
Premier échange accompli avec Manon. Découverte, en forme de confirmation, des qualités humaines de cette jeune femme de 24 ans. Elle se déclare très troublée et attachée d’instinct à moi. Ne précipitons pas les choses, tout de même.



Jeudi 15 mars, 23h50
Quelques journées exténuantes d’enseignement tous azimuts. Ce soir, une conférence aux étudiants de pharmacie (à Galien) sur le rapport science-médias. Je me suis laissé aller à quelques envolées langagières sur le sujet, soulignant les absurdités, les tendances à l’hystérie dans le traitement du dossier vache folle et, maintenant, de la fièvre aphteuse.

Samedi 17 mars, 23h30
Hier soir passé avec Manon. Nuit complète partagée. Son corps correspond à mes idéaux (finesse des courbes et générosités focalisées) : en clair des seins lourds et fermes, des tétons à la bonne taille, des fesses rebondies, une taille marquée, des jambes fines, un ventre (presque) plat... et son âme qui se dévoile dans une touchante sensibilité. Nos sources idéologiques ne sont pas les mêmes, mais elle ne se braque pas pour autant. Pour modérer le contraste, je lui précise mon évolution intellectuelle depuis mon exil lyonnais. Désormais, je ne me sens plus guidé que par mes propres inclinations, mon sens critique.

Dimanche 18 mars
Malheureusement, les Tibéri et Millon n’ont pas pu, respectivement, conserver et conquérir Paris et Lyon, tombés à gauche. Le bon pôple s’est prononcé.
On s’est tellement moqué du système américain, et nous voilà avec un maire parisien de gauche alors qu’en suffrages exprimés la droite est majoritaire.
Même absurdité dans le traitement de la fièvre aphteuse en France. Face à un cas déclaré, on a anticipé en éliminant quelques trente mille moutons sains. L’hystérie de précaution, comme garant d’une immunisation contre tout soupçon d’avoir laissé faire, entraîne le drame absolu chez des milliers d’éleveurs. Si l’on n’avait brûlé que les bêtes réellement malades, n’aurions-nous pas eu moins de têtes sacrifiées ? Les témoignages d’anciens semblent conforter cette thèse. Ce serait alors la confirmation de ce délire précautionneux qui s’est emparé des services de l’Etat.
Dernière semaine d’intervention à l’université Lyon III, où une polémique se développe à propos de la couverture faite au professeur d’histoire négationniste Allart par le conseil d’administration. Tracts dénonciateurs distribués à la sortie de l’université, communiqué de presse d’un groupement d’enseignants en réponse...
Je dois revoir Manon mercredi soir (et demain matin en coup de vent à Forpro).
Mon moral se fait de plus en plus insensible aux attaches passées. Je n’ai nulle envie d’un rapprochement avec le Nord, les gens du Nord... Une promesse non tenue sonne pour moi le glas. Marre de ces illusions idéologiques, de ces faux-semblants respectueux. L’exil que je me suis imposé me libère de ce joug et m’ouvre à l’indépendance d’esprit. Une salutaire évolution pour qu’éclate la complexité de mon positionnement, reléguant aux antiquités existentielles mon fanatisme débridé. Je ne renie strictement rien, ne regrette pas une once, mais je ne m’empêche pas pour autant un état des lieux critique.

Lundi 19 mars
Lyon, comme Paris, sont restés à droite en nombre de voix, alors que la gauche fait son entrée majoritaire aux hôtels de ville.
Procès du monstre sanguinaire et paradeur Guy George. Inadmissible : il ne risque que la perpétuité (qui n’est jamais effective dans les faits) avec une période de sûreté de vingt-deux ans, au lieu de trente que permet au maximum notre droit. Trop indulgente justice... trop humaniste pour les criminels de ce type.

Mercredi 21 mars, 0h30
Dechavanne semble vraiment avoir un problème dans la verbalisation des actes sexuels et de toute la terminologie qui les décrit. Impression d’avoir un gamin complexé, honteux de certaines évocations (la sodomie le rebute, le sexe de l’homme devient zizi, etc.). Son émission sur le sexe tenait en revanche parfaitement le cap avec des intervenants sensibles et intelligents.
Lors d’une conversation éclair avec Manon, lundi dernier, j’évoquais mon étonnement quant à mon indifférence de ne pas avoir revu les gens du Nord et le pater. Trop tard, trop fatigué pour trouver une explication.
Je vois aujourd’hui, pour le goûter, Flo J. qui part en Angleterre, à la fin de cette semaine, pour s’épanouir dans une activité.

Jeudi 22 mars, minuit moins une
Soirée et nuit dernière chez Manon. Elle a encore dû s’improviser Saint-Bernard chez ses parents. Une mère à la déprime ravageuse, un père qui ne parvient pas trop à gérer la situation, et Manon au milieu qui s’ingénie à colmater. Du gâchis, encore et toujours... Marquée par cette journée, elle songeait même à ne pas me garder après le dîner pour cultiver une solitude régénérante ou ruminante. Finalement, l’attirance charnelle a transcendé la situation et j’ai passé ma première nuit chez elle. La gourmandise sexuelle s’affirme en rythme réciproque.
Je me sens plus proche de la tendresse sexualisée que de la passion accroc. Ne pas l’appeler lorsque je ne l’ai pas à mes côtés ne me mine pas : je n’y songe pas, en fait. Est-ce ma nature qui se durcit à un tel degré que plus rien ne m’accroche vraiment ? C’en est inquiétant pour ma suite de vie. Je me comporte un peu comme le médecin légiste : attentif à ce qui m’entoure, curieux de l’autre, mais sans inclination à m’attacher aux sujets retenus. Même l’espoir déçu dans la relation embryonnaire et éphémère avec Valérie ne correspondait pas à un authentique penchant pour elle.

Dimanche 25 mars
Le vagabondage littéraire peut résister aux obligations pédagogiques. Un sujet choisi pour les bac pro sous ma responsabilité à Forpro, dans un recueil adéquat, sans même lire le texte, ne me fiant qu’au genre, ici le narratif, et aux questions posées : un extrait d’Un jeune couple de Jean-Louis Curtis.
Sa lecture, aujourd’hui, avant de corriger les tentatives estudiantines, me stupéfie : j’ai là le portrait chirurgical de situations vécues dans le minage psychologique avec plusieurs demoiselles que l’on peut reconnaître sans peine. Chacun doit avoir la sienne. Je laisse ce passage ici :
"Jour après jour, il y avait le morne ressassement de ce que nous au­rions pu faire si nous avions eu telle somme d'argent. « Si seule­ment nous avions trois millions! Rien que trois millions, Gilles, une bagatelle aujourd'hui. Qu'est-ce qu'on pourrait bien faire pour gagner trois millions ? On ne va tout de même pas jouer au tiercé, comme des minables! » Elle ruminait cette pensée, s'y obstinait comme une enfant butée. Quelquefois, cela me donnait envie d'aller me noyer. Ou de me saouler à mort. Ou bien de par­tir au loin, très loin dans une île du Pacifique où personne ne dé­plore de n'avoir pas trois millions pour obtenir le loyer d'un ap­partement.
Quand Véronique parlait de ses projets d'avenir, c'était toujours en termes d'acquisition. « Nous achèterons... Nous aurons... », ou de jouissance: les sorties, les vacances, les voyages... Il me sem­blait qu'elle était habitée par une énorme poulpe invisible, dont les myriades de ventouses tour à tour contractées et béantes aspi­raient à pomper toute la matérialité du monde. Ses convoitises étaient en même temps exorbitantes et modestes, car il aurait suffi d'avoir de l'argent pour les satisfaire (du moins à cette première phase de notre vie commune: un peu plus tard, les exigences de Véronique devinrent plus complexes), et je ne cessai pas de m'émerveiller que le bonheur fût, pour elle, une simple question de compte en banque. Je lui dis, un jour, en matière d'apaise­ment: « Dans quelques années, nous aurons tout cela, je te le promets. » - Dans quelques années ? Quand nous aurons l'âge de nos parents ? Quand nous serons à la retraite ? Ça ne m'inté­resse pas, Gilles. Ce que je serai après quarante ans ne m'inté­resse pas. D'ailleurs dans l'intervalle, il y aura la bombe. C'est aujourd'hui que nous devrions avoir tout, aujourd'hui que nous sommes jeunes. » Et elle ne songeait pas que nous avions juste­ment la jeunesse qui peut tenir lieu de tout; nous avions notre vi­sage encore lisse, notre corps encore vigoureux, notre intelligence encore avide; nous aurions pu avoir notre amour, si elle l'avait voulu ; mais au lieu de jouir de ce que nous étions, de notre être, elle rêvait de ce que, selon elle, nous aurions dû avoir."


Lundi 26 mars
Mon étudiante préférée (heu... maintenant après Manon, à qui je n’enseigne rien) doit me retrouver chez moi avant que nous filions en taxi vers la halle Tony Garnier où Bruel doit se produire. Vu ce soir un film avec lui sur Arte, comme une acclimatation au personnage. Je suis enchanté d’accompagner la foliette Elo à ce concert. Comme une trace de ce lien amical, j’ai gardé le chèque qu’elle m’a fait en remboursement de la place. J’avais fait de même, mais pour de toutes autres raisons, en 1993 avec Kate peu de temps avant qu’on se sépare. Le contraste, entre ce chèque de 220 francs non encaissé et les millions de francs perdus par les effets néfastes de notre relation, me séduisait littérairement.
J’intrigue mes étudiants (l’un en GACO la semaine dernière, l’autre en bts aujourd’hui) sur mon parcours, ma formation, mes autres activités. Celui d’iut, très éclairé intellectuellement, me confia au dernier cours qu’il trouvait étonnant que je puisse passer de sujets aussi différents que la publicité, le monde de la presse ou la nouvelle économie et internet. Une bonne préparation ne permet pas tout : il faut pouvoir improviser, répondre aux questions, donner une impression de naturel, d’un côtoiement expérimenté. La diversité des matières enseignées, une curiosité pour les actualités et le bavardage professionnel passé ont forgé mon rapport aux autres dans l’échange insatiable. Un de mes instants préférés dans la contrée pédagogique : vagabonder sur des sujets divers et rebondir sans préparation dans l’échange nourrissant ou le contradictoire exaltant.
Ainsi, aujourd’hui, à partir d’un sujet de synthèse de documents concernant le regard porté sur les monstres, arrêts sur le criminel à saigner Guy George, le genre pamphlétaire, les escroqueries idéologiques... un régal.
(...) Les gens du Nord ont finalement eu besoin de quelques éclairages sur la déclaration fiscale de la SCI.

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