Août

Vendredi 3 août
Un mois tout juste d’abstention sans forcer. L’écriture ne m’a pas tenaillé et le grattage aurait été pour la pure forme d’un rendez-vous littéraire factice.
Cette reprise ne répond pas à une renaissante inclination. Peut-être laisser choir ce témoignage d’une vie décalée qui n’a d’écho que pour moi et que l’alentour décrédibilise (depuis les gens du Nord jusqu’aux grandes maisons parisiennes).
Premier jour d’un petit passage à Fontès. Ma chère grand-mère malheureusement alitée après sa chute lourde de casse pour sa hanche remplacée. Un air de marquise avec ses cheveux blanchis (le coiffeur est impossible) et sa peau pâle.
Avec mère et tante nous lui tenons compagnie quelques heures dans sa chambrette surchauffée.
Une étincelle récente sur le plan sentimental : Elen, rencontrée au parc lyonnais, monopolise mes pensées. Malgré des univers existentiels très différents, nous nous retrouvons pour la complicité et la douceur. Une amorce à suivre et à pérenniser.
J’écris tordu et de côté dans un petit lit, d’où ma calligraphie très approximative.
Comme désormais chaque été, mes lectures se résument à la dizaine d’ouvrages au programme des médecines et pharmacies. Le sang, son histoire et sa symbolique, ouvre de riches réflexions pour les étudiants de Grange Blanche.
Si l’invitation pour Royan a été confirmée par Sally, je n’ai aucune envie de rendre visite aux gens du NordLe discours tenu par Heïm m’apparaît de plus en plus comme une trahison affective et intellectuelle. Après les promesses et mon investissement en temps qui en a résulté, je ne digère pas les rodomontades pseudo-stratégiques d’un revirement absolu quant aux engagements éditoriaux pris.

Samedi 4 août, 6h30
Il est temps que j’intensifie ma purge existentielle en forme de psychothérapie littéraire. Le sale rêve de cette nuit confirme le besoin.
J’ai adhéré passionnément à la vie de Heïm dans ses choix fondamentaux. A 21 ans, j’ai accepté des responsabilités qui me dépassaient dans l’implication engendrée, même si j’en avais revêtu toute la panoplie juridique. Je n’ai évidemment pas maîtrisé ce qui, en titre, devenait mon affaire. Heïm restait d’une influence déterminante sur le plan éditorial, sur les grandes orientations, et pratiquait l’art de l’horizon idéal vers lequel, dans le charbon, nous (Alice et moi devant) devions tendre ; cela lui permettait de dénoncer par avance les travers dans lesquels ne pas sombrer et d’apparaître naturellement comme le sage ayant eu raison.
Si j’avais eu la poigne, la légitimité et l’autorité nécessaires sur tous les cadres plus âgés que moi dans cette entreprise (notamment des services littéraire et commercial) j’aurais, au premier signe négatif (et j’en ai eu de nombreux perçus comme tels en conscience, mais qui n’ont pas entraîné de réelles mesures), imposé un ralentissement de l’activité, avec une réflexion très poussée sur la viabilité d’une telle activité rendue de facto quasiment industrielle. Mais voilà : je n’avais pas le pouvoir de prendre cette décision car, derrière, tout un système de vie en dépendait. Le train lancé devait continuer son accélération, même si cette endurance reposait de plus en plus sur des artifices bancaires (découverts et lignes d’escompte). Là est le nœud du problème, au-delà des incompétences évidentes de chacun.
Très vite, voire dès le départ, mon rôle de gérant n’a pas consisté à diriger une activité, lancée pour des impératifs étrangers à la bonne santé de l’entreprise, mais à maintenir sur les rails coûte que coûte une carlingue branlante à l’effondrement inéluctable. Une saine gestion des affaires exigeait des coupes franches dans le personnel et le remplacement de nombre d’éléments de l’encadrement.

Dimanche 5 août, 0h30

Epoque 93-95 : gestionnaire des ruines fumantes.
Impliqué à la façon d’un combattant palestinien du jihad, j’ai endossé diverses responsabilités juridiques qui ne m’incombaient pas, ceci bien évidemment avec la bénédiction de Heïm puisque cela servait l’intérêt du château. Je ne regrette pas mon choix, signe d’une authenticité dans mes engagements d’alors, mais éprouve une nausée lorsque j’entends rapporter la position de Vanessa qui voit dans mon Gâchis un texte de trahison, alors qu’il témoigne de mon parti-pris pour le château. Ma mise au fronton des ruines s’est d’ailleurs concrétisée, entre autres décisions, par la prise de présidence du GIE Logires, alors dirigée par la femme de Heïm précitée, avec la découverte d’un bazar absolu sur le plan comptable (un carton-dépotoir pour l’ensemble des papiers). La mise en perspective donne un contraste ahurissant.
23h05. Mon détachement lyonnais répond à une lassitude de la vie d’Au rythmée par les beuveries pseudo-cathartiques de Heïm au ressassement nauséeux des mêmes rengaines éculées, aux saveurs perdues. Je croyais qu’une affection à distance restait possible, elle se niche dans le fin fond, mais sans désir de suivi, de contacts, même sporadiques. Aucun regret du vécu, mais le sentiment que tout ce qui viendrait serait forcé, sans intérêt nourrissant. Je préfère ma condition de reclus, à un partage du rabâchage quotidien.

Mardi 7 août, 22h45
Eu ce soir Karl au téléphone. Je le retrouverai à Royan en milieu de semaine prochaine. Il m’annonce « que je suis tonton » : Hubert vient d’avoir, avec sa compagne, une petite fille née le 3 ou 4 août, Mathilde. Voilà qui me ravit pour lui, mais qui n’évoque aucun sentiment de filiation pour moi. Depuis des années, je ne partage plus rien avec Hubert ; nos relations se sont le plus souvent résumées aux désaccords juridiques sur tel ou tel dossier. Je trouverai hypocrite de laisser croire autre chose. Je ne suis même pas sûr de le revoir un jour...
Plus allusif, Karl s’enquiert de savoir si je compte me manifester pour l’anniversaire de Heïm car je n’ai rien envoyé pour la fête des pères. Là encore, des changements. Je n’avais aucune envie de me manifester suite à la volte-face éditoriale. Je doute que Heïm perçoive bien la carte que je lui enverrai pour le 12 août. Karl m’interrogeait-il de lui-même, ou sur recommandation ? Le fait qu’il fasse référence à mon silence suppose que des conversations ont eu lieu à ce sujet. Aucune envie de rentrer dans ces débats. Je serai maintenant une carpe sur certains domaines. Seules ces pages témoigneront de ma vision critique.

Mercredi 8 août, 23h20
Un séjour assez bref à Fontès, mais riche d’occupations sportives (tennis, nage et jeux de plage) et intellectuelles (synthèse d’ouvrages lus pour l’Institut Galien), s’achève. Demain soir, je retrouve Elen à la gare de Lyon Part Dieu. J’ai tenu mon rythme d’une carte par jour expédiée, mais la Poste semble avoir mal exécuté son acheminement, pour changer !
Les visites à grand-mère, immobilisée sur son lit, ont permis de la distraire un peu, mais son manque d’appétit ne faiblit pas. En espérant que sa visite hospitalière du 10 août apporte de constructives perspectives, sinon le moral risque de se ternir fortement et la volonté de ne pas se rapprocher d’une vie végétative conduire à un abandon psychologique.
Partage de quelques bons moments sportifs avec Jim et quelques ados du village (Audrey, Lucie...) sur le beau terrain de tennis du village.
Notre cher Bébel national a été victime d’un problème cardio-vasculaire et son état semble dégradé. Triste nouvelle d’un personnage attachant et ô combien marquant dans notre cinéma. Les rédactions doivent s’affairer à préparer la nécro. Il rejoindra le Panthéon des saltimbanques les plus appréciés : ceux qui savent nous distraire. Son feu tuteur culturel, le bon Gabin, l’attend certainement avec toute sa merveilleuse gouaille. Le vieux Delon risque lui d’être bien affecté par cette disparition probable. Faisons un voeu tout de même pour qu’il s’en sorte sans trop de dommages.
Annonce de la sortie d’un album de Björk pour la fin août. Les yeux fermés (mais les oreilles grandes ouvertes) je serai parmi les premiers acheteurs. Confirmation, par certains qui ont travaillé avec elle, de sa personnalité attractive où se mêlent une forte animalité et un charisme fascinant. Je le répète, mais voilà une personne dont la rencontre me nourrirait.

Samedi 11 août, à Royan
Un début en douceur, accueilli par le très gentil père de Sally : un petit gueuleton improvisé dans sa demeure, à minuit et demi, me familiarise avec l’endroit.
Avant mon départ, le passage chez Elen a été à la hauteur de la densité espérée.
Premier jour tout en douceur à Royan. Nage le matin, sieste d’après repas bien arrosé, farniente au soleil après dix-sept heures et dîner avec Sally, son papa, un cousin, son épouse et leur fille (tous adorables).
La distance prise avec les gens du Nord ne doit pas entacher mon lien avec Sally, ni avec d’autres individualités. C’est ce que ce séjour confirmera, je l’espère.
Ma communication littéraire se réduit à peu de choses impubliables, alors pourquoi forcer ? Se sentir vide de tout, sans ambition, sans penchant à construire, à capitaliser, absorber les instants comme autant d’ajouts superfétatoires plus ou moins jouissifs : ma condition humaine se rabougrit en involution. Le coche loupé, reste les rogatons meublant une suite d’existence ternie. Un petit effort pour y croire encore tout de même. Elen m’y aidera peut-être... Jamais je ne révélerai son existence à quelqu’un du château, ou en lien habituel avec.
Marre de ces fourches chirurgicales qui détaillent la moindre parcelle de la personne choisie. Je ne veux plus d’ingérence, jamais ! Cela m’a trop coûté pour de prétendus bonheurs que l’on me souhaitait. Foutaise ! Pour une mainmise sur ma vie privée, plutôt ! Finish les sérénades cathartiques. J’assumerai seul mes choix, sans influence d’aucune sorte.

De la daube mes tentatives d’apporter une structure romancée à ce Journal. Je ne suis décidément pas fait pour l’écrit d’imagination. Je ne vivrai jamais de ma plume.

Dimanche 12 août
Un anniversaire : dix ans exactement que je tiens mon Journal. Je ne le destine à plus rien d’autre qu’être une trace superficielle d’une vie en retrait.
Séjour qui se poursuit agrémenté d’une douceur relationnelle. Corentin, Lydie et leur fille Adèle s’avèrent de très agréable compagnie. Bien dommage qu’ils doivent repartir dès demain après-midi.


Elen au tél. Elle s’inquiète de mon absence pour son début de vacances. Je me sens lié à elle et dois laisser fructifier cette relation sans trop me projeter dans l’avenir. RAS pour le reste.

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